lundi 29 décembre 2008

826 - La vieille

La vieille n'avait pas de nom, pour tous c'était une ombre.

Depuis une éternité on la voyait passer au coin de la rue, ou plutôt on ne la voyait plus. Avec son dos cassé, sa face blanche, ses doigts comme des crabes elle faisait partie du cadre. La vieillarde se confondait avec les lézardes des murs qu'elle rasait.

Pour tous, elle avait toujours été âgée. Approchant les cent ans, elle avait vu patauger dans leurs couches la moitié des gens qui l'entouraient.

Il est vrai que quand un septuagénaire nous voit naître et qu'il devient centenaire, nous grandissons avec un arbre qui semble avoir toujours été ridé... Du berceau à la force de l'âge, nous ne voyons chez lui que des cheveux gris.

Enfin, ce spectre familier ne semblait pas avoir vraiment eu d'histoire. De plus en plus pâle, constamment courbé, jamais gai, qui aurait pris la peine de l'écouter ? On l'appelait "la vieille" et on lui prêtait une existence de fantôme. Et pourtant... Cette chose affreuse avait aimé, autrefois. De son vrai nom Bertrande, "la vieille" avait traversé le siècle presque à l'insu de ses contemporains, repliée sur son chagrin.

Son secret, son grand, terrible secret d'amour se résumait à une humble et bien banale tragédie : elle avait perdu son fiancé dans les tranchées de la "14".

Il s'appelait Lucien mais peu importe. Mort depuis 80 ans. Devenu stèle lointaine, statue radieuse et diamant noir tout à la fois dans l'âme trop pure de l'éplorée... Une vraie lumière dans son coeur. Enfouie sous le silence, les pleurs et les rides.

Le souvenir de Lucien l'avait tenue en vie depuis tout ce temps. Ou peut-être plus morte que vive.

C'était ça son jardin secret à la "vieille". C'était Lucien.

Lucien l'anonyme. Son amour, son joyau, ses larmes, son trésor, son drame de "vieille" qui passait silencieuse au coin de la rue.

lundi 22 décembre 2008

824 - Troublant trou blanc

Les oeuvres immortelles de Victor Hugo ne sont plus qu'une cendre anéantie de non-souvenir, les pyramides de l'Égypte sont sur le même plan que le braiment des ânes et le cri des hommes qui ont participé à leur construction.

D'ailleurs l'Égypte n'est plus l'Égypte depuis 100 000, voire 200 000 générations humaines.

Rimbaud est plus léger que l'ombre de la Lune noyée dans le rien, dans le vide, dans le tout qui lui-même se retrouve dans la queue de la galaxie au nom déjà oublié...

Les républiques sont des royaumes et les royaumes sont des parenthèses entre deux particules de poussière. Et chaque atome composant cette fumée est comme autant d'empires. Tout se vaut et plus rien ne vaut, l'insignifiant a le prix de l'infini et ce qui est immense est comparable au plus éphémère de tous les phénomènes existants. Mille étoiles naissantes sont aussi dérisoires qu'une seule molécule de carbone et une étincelle d'hydrogène peut enflammer 10 000 océans de glace. Un éclair pèse 300 000 soleils et chaque soleil émet cent mille milliards d'éclairs chaque seconde pendant trois milliards d'années. La pensée vaut la matière et toute la matière une seule pensée.

Que s'est-il passé pour en arriver là ? Rien, ou si peu de choses...

Tout simplement, cinq milliards d'années se sont écoulées depuis la naissance sur Terre de Napoléon, de Jésus Christ et de Firmin Marteau.

La planète Terre et ses soeurs du système solaire unies au soleil dans un même crachat cosmique ne forment plus qu'une brume sidérale errant à travers la Voie Lactée.

Victor Hugo, le soleil, l'Arc de Triomphe, Saturne, Mars, Pluton, les cafards, l'empire romain, l'écologie, le réseau Internet, les musées, la philosophie grecque, l'art musulman, les papillons : tout est retourné au niveau du zéro absolu sur le grand compteur cosmique.

jeudi 18 décembre 2008

823 - La gloire de la beauté

La beauté me galvanise, me purifie, m'élève.

L'harmonie des formes et la féerie de la vie, la majesté du cosmos et la symphonie des ondes, l'esthétique des choses et le mystère des êtres, l'éclat des hauteurs et la grâce des traits sont autant de muettes tempêtes qui submergent l'esthète, émerveillent l'humain, ébranlent le mortel que je suis.

Le Beau, plus que la souffrance, l'ombre ou la volupté me fait prendre conscience qu'une cause suprême nous gouverne : un principe supérieur qui répand dans toutes les directions ses rayons de vérité. La beauté est la manifestation du vrai. Même l'excrément, la charogne et la vermine qui nous semblent répugnants, vils, immondes sont en vérité de glorieux témoignages du génie céleste qui fait des roses avec de la merde, des bébés avec de la pourriture et des étoiles avec de la cendre.

La beauté bouscule l'Univers, allège les lourdauds, fait frémir le marbre, chavirer les astres. Et sauve les abrutis.

La beauté est la nourriture des coeurs sensibles, la respiration des esprits nobles, l'ivresse des âmes éveillées.

Signe tangible des éclats de l'invisible, efflorescence du Ciel, Lumière faite chair, son, caillou, herbe, diamant, humus, brume, flamme, visage, la beauté procède de la dignité divine : c'est non seulement un hymne à la gratuité mais encore la gloire du superflu.

dimanche 14 décembre 2008

821 - La fête des porcs

Les fêtes de Noël et du nouvel an approchent avec leurs lots d'immortelles imbécillités.

De quoi satisfaire les incorrigibles abrutis de la Terre.

Je ne trouve aucune excuse aux victimes consentantes de cette annuelle mascarade, aux adeptes convaincus de ces sempiternelles libations gastronomico-rien-du-tout. Pas même celle de la cause enfantine. Surtout pas cette excuse !

L'homme du commun me fait pitié, me dégoûte, m'afflige. Le vulgaire qui affectionne tant la nullité, la bassesse et la bêtise ne mérite de ma part que mépris. Mais un mépris salutaire, pédagogique, rédempteur car, contrairement à ce que mes sentiments faussement misanthropes pourraient laisser croire, je ne désespère pas de ceux qui, de par leur nature humaine, sont nécessairement nés avec un potentiel stellaire.

L'âne bipède empêtré à ce point dans son fumier est-il encore apte à l'élévation ? Certes je le crois. Sinon je ne lui assènerais pas mes coups de bâtons izarriens, inlassablement. Je suis un saint. En faut-il de la patience, de la force, de la foi dans les hauteurs pour supporter les braiments de mes frères humains ! En tant qu'esprit supérieur je me dois de dénoncer la criminelle ineptie de mes semblables. Mon prochain est un porc. Et je souhaite redonner sa dignité à mon contemporain déchu.

Je ne demande pas à ces dégénérés de fin d'année qu'ils soient parfaits, vertueux, sans défaut. J'aimerais juste qu'ils sachent qu'ils sont des porcs.

Simplement leur ouvrir les yeux.

Ne serait-ce pas le plus beau cadeau de Noël que nous les beaux esprits nous aimerions faire aux hommes ?

Alors je dis : joyeuses fêtes de fin d'année les porcs !

mardi 9 décembre 2008

820 - Ma muse

Ma muse se repose dans l'immensité entourée de vagues, étendue avec volupté, comme morte entre le ciel et l'écume.

C'est une sirène échouée sur un lit de pierres et de coquillages. L'île est couverte de bois et de quelques cendres .

Ma muse ne s'amuse plus avec moi. Maintenant, elle dort. Rêve-t-elle ? Je ne sais. Mais je crois que oui. Ma plume est sereine, rien n'agite ni mon coeur ni mon âme et je ressemble à la Lune qui songe en silence, mollement dans le firmament... Ma muse au loin ne bouge plus. Elle respire doucement, la tête pleine de mirages olympiens : elle dort et je suis sûr à présent que son âme est peuplée des chimères du sommeil.

La lyre entre mes doigts se tait, inquiète et charmée. Le bonheur subtil de la vision de ma muse me suffit. Le mystère remplace les sons de mon luth. Mes vers et mes rimes ne servent à rien, ma muse est endormie dans l'île lointaine perdue au milieu des flots et des tempêtes.

Mais je vois ma muse qui s'éloigne dans les brumes marines... Son image se mêle aux fumées de l'horizon, elle va en s'estompant et avant de disparaître tout à fait je discerne encore les vagues formes d'une vénusté qui bientôt n'en est plus une : à la place de ma muse, sur la plage morte vient agoniser, blanche, flasque, délicate, étrange, fantomatique, une...

Méduse !

mercredi 3 décembre 2008

819 - Le mot traître

Je ne suis pas le maître des mots, je n'en suis que le mètre : je prends la mesure de ce qui est bref et de ce qui est long, jauge ce qui est petit et ce qui est gros, juge ce qui pue et ce qui sent bon, pèse ce qui est lourd et ce qui est léger, et surtout assaisonne de chiffres utiles ce qui en est dépourvu.

Je ne suis que les numéros des pages, les majuscules des titres, l'espace entre les paragraphes.

Et le prix des ouvrages.

Ce qui est peu et énorme, insignifiant et essentiel.

Pour les maîtres qui en font des vers à pieds, mettre les mots sous verre est capital : le dictionnaire est ma seule loi. Rien de minuscule ne m'échappe. Certains prétendent que sous prétexte que je ne suis pas le maître des mots, je les mets à Anvers... Faux ! C'est leur tête d'écrevisse qui est dévissée... Les gens de l'Ain, de Sète et de Troyes voient tout de travers ! Qu'est-ce que j'irais foutre en Belgique ? Moi, je collectionne, trie, classe les mots. Tous les mots.

Et je les mets à Brie-Comte-Robert. C'est en France.

Je fricote avec la prose posée comme la plus hachée, tricote des périphrases sans fin, asticote les pêcheurs de casseroles. Je suis la rature et je ne m'en plains pas, c'est signe que je suis une vraie croix. Un calvaire. J'incarne les vieilles carnes et on m'appelle Rossinante. Et je vais de gare en gare apporter les mauvaise nouvelles... Pourtant je caracole avec sur mon dos les plus grands. Lettres d'or ou feuilles mortes, je fais la pluie et le beau temps.

Je suis le texte perdu et la signature illustre, je suis le brouillon et l'oméga, je suis le commencement et l'histoire sans fin...

C'est paradoxal mais à grands coups de H je suis également la faute d'Horthographe, l'erreur dans le coeur du mot qui change le cours de l'O, et ma coquille folle parfois se fend d'une seule pièce. Ce qui est un grand tort pour moi. Mais heureusement j'ai aussi une armure de plumes.

Pointu, plat, rigide, terrible, intransigeant, pointilleux, tyrannique et surtout très ennuyeux, je suis le seul mot qui traque tous les autres. Et c'est pour cela qu'on me dit traître.

Je suis la règle.

818 - Les mots m'appartiennent

Les mots m'appartiennent et j'en fais des monstres de poire, des montagnes de silence, d'hyperboloïdaux alambics, de surprenants tétrasyllabes ou de monotones moutons.

Toi qui dis que ma quête dicte ta loi, je réponds que ta foi pique ta queue, que ta pie est taquée et que ton foie est lésé. Oui, lésé. Pourquoi lésé ? Parce qu'il est aisé de prolonger les mots avec des L quand la plume s'en mêle.

Je suis le nénuphar des lettres, la lumière des baleines, l'astre des huîtres.

Et le sapin des forêts.

A moi seul j'illustre le blanc et le noir, le vent et la foire, le beau et le bien, le bas et le rien, le mince et l'épais, le prince et l'épée.

Seul maître au port, je borde les sirènes, fascine des boutons, boute des florentins, sors des flots, boude à bâbord, m'enflamme pour un bout de bois, m'endors d'un seul bond. Et nage à vie.

Les mots m'appartiennent. Ils m'habillent, me maquillent, me stabilisent. Ils me masquent, m'aspergent, me chou-fleurissent. Mon verbe est joufflu, gonflé, bossu, tordu. Et pourtant droit comme un i, toujours. C'est le verbe rire : l'ire des baudruches auquel j'ajoute de l'air.

Pour, dans un monde de betteraves à lucre, pouvoir respirer sans entrave.

Je suis la lettre des nénuphars, la baleine des lumières, l'huître des astres.

Avant moi, le désastre.

Appelez-moi Sophie car je porte une jupe pourpre, des souliers de parpaing, du vernis au front et à l'hémisphère de mon cul, pas de calotte.

817 - Les journalistes sont des canards

Le feuilleton Royal-Aubry, affaire symptomatique de l'insignifiance médiatique, aura eu surtout l'avantage de révéler le fond de vacuité que constitue la profession de journaliste.

"CARTE DE PRESSE", "ÉTHIQUE PROFESSIONNELLE", "CODE DE DÉONTOLOGIE", de grands mots prononcés par des présentateurs de télévision, des jacasseurs de radios, des plumassiers de la presse pour donner de la noblesse à ce qu'ils appellent leur "mission"...

De grands mots qui cachent du vent.

C'est en trempant leur nez dans la soupe politique que les journaleux ont l'impression de vivre avec éclat leur métier, d'être à la hauteur de leurs rêves de cancaniers gouvernementaux. Brasser du potage politique, cela pose son journaliste. L'éditorialiste se complaît dans l'écume politicienne : sa verve y atteint des sommets de fatuité.

Les journalistes affectionnent les messes de papier. Personne ne comprend rien à leurs soporifiques, abrutissants, oiseux concerts de canards et cela n'intéresse d'ailleurs fondamentalement aucun être humain sain d'esprit , mais ils s'ingénient à servir régulièrement au public dupé leur pâtée débilo-politico-journalistique, juste pour faire croire qu'ils servent à quelque chose, qu'ils informent les gens de sujets essentiels...

Pris au piège du subtil matraquage médiatique et en pleine auto suggestion, le public placide encaisse.

Et l'évènement Royal-Aubry devient effectivement un événement.

Et l'affaire de l'affaire devient une affaire.

Et pour finir l'histoire du chien écrasé devient un roman.