jeudi 17 mai 2007

478 - Un bon gardien

En flânant au cimetière du Père Lachaise à la verte saison, n'avez-vous jamais senti que les premiers effluves vernaux rendaient légers les coeurs comme les sépultures ? Ce jour-là, tandis que rêvassais dans le jardin mortuaire, le parfum subtil du printemps pénétra en moi de manière aiguë. Et les marbres, confusément, se parèrent d'invisibles beautés. Sensations inédites dues sans doute à ma sensibilité d'éternel oisif... L'air printanier au-dessus des tombes alanguissait mon âme et, plein d'ivresse, je me mis à parler aux morts. Avec fantaisie et emphase :

- Morts, comme vous voilà trépassés ! Vous qui gisez sous les pierres, m'entendez-vous ? Esprits, âmes errantes, défunts de toutes conditions, allez-vous cheminer à mes côtés entre toutes ces tombes ? Ha ! Quelle jolie compagnie vous me ferez !

Quelques vivants m'interrogèrent du regard.

Indifférent aux normes horizontales en vigueur chez mes semblables et à la bienséance qu'exige ordinairement toute présence en ces lieux, je continuai à parler haut et fort aux gisants.

- Dormez-vous donc ? Ou bien êtes-vous déjà loin sur le chemin de l'Éternité ? Allez-vous finir par me répondre ?

Soudain, derrière moi une voix sonore et sépulcrale...

- Je suis le gardien du cimetière. Allez-vous cesser vos imbécillités ? Des gens sont en deuil ici, un peu de respect pour eux s'il vous-plaît ! Les morts ne vous répondront pas pour la simple raison qu'ils n'ont rien à vous dire ! De plus certains d'entre eux sont des âmes irascibles, comprenez-vous ? Allez, maintenant circulez s'il-vous plaît.

Je lui présentai mes excuses et partis un peu plus loin. Une fois seul, je me remis à interroger les disparus :

- Allez-vous vous réveiller oui ou non ? Un vivant vous parle ! Allez-vous me dire si vous êtes là oui ou non ?

Cette fois la voix qui me répondit fut retentissante !

- Mais vous n'avez pas bientôt fini votre petit cinéma ? Je vous ai dit de respecter les visiteurs en deuil. Où vous croyez-vous ici ? Au théâtre ? Allez, maintenant sortez de ce cimetière je vous prie, sinon j'appelle les forces de l'ordre !

Une fois dehors, longeant le mur de la nécropole donnant sur le Boulevard de Ménilmontant, je me ravisai. Le gardien qui m'avait si vertement sermonné avait tout de même quelque chose d'étrange en lui... Cet aspect anachronique, et puis le fait qu'il me retrouva si promptement alors que je me pensais seul dans un coin perdu du cimetière... Je ne m'étais rendu compte de rien sur le moment mais à présent que j'y songeais... Étrange... Personne n'avait semblé faire attention à lui à part moi. Ce gardien irrité à la voix si forte, ne fus-je pas le seul à l'avoir entendu ?

"Les morts ne vous répondront pas pour la simple raison qu'ils n'ont rien à vous dire ! De plus certains d'entre eux sont des âmes irascibles, comprenez-vous ?", me remémorai-je...

A cet instant précis je compris tout.

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