vendredi 18 mai 2007

503 - Parler creux pour tester mes interlocuteurs

Ce qui est une certitude en littérature comme en rhétorique, c'est de faire les choses à la lettre sans souci des mots relativement à leur signification intrinsèque. L'inconstance libère l'auteur des exigences de son art. Libre, il jouit de son pouvoir. Ses chaînes brisées lui confèrent justesse et exactitude, rectitude et hauteur. Sa loi fait foi. L'écrivain ne jure que par ces mots-là. Ceci est vrai aussi bien dans le contexte original du grammairien qui, précis, manie avec science et rigueur sa plume, que dans le contexte secondaire de l'auteur pris dans son propre texte. Là il devient auteur, véritablement.

Alors que le lecteur juge selon la capacité de l'auteur à l'émouvoir, le surprendre, l'auteur lui s'engage dans une voie nécessairement inconfortable et cela pour la raison essentielle qu'il possède la clé de son propre enfermement comme de sa libération. Les livres sont sa prison et ses horizons. Obligé qu'il est de reconnaître une si cruelle évidence. Il s'en évade parfois au prix d'un effort surhumain. Justement, là est son pouvoir. Presque magique. Il fascine par ses mots et son imagination est féconde, mais qu'en pense le lecteur au moment où il perd contact avec le réel, déjà emporté par les ailes de l'écrivain ? Oeuvre d'imagination ou rêve éveillé ? Fiction ou récit dans le récit ? Au lecteur de faire la part des choses, de se frayer un chemin dans la forêt de livres que l'auteur lui offre dans la foulée, disert et secret à la fois, bavard et muet. Entre l'auteur et le lecteur, admiration et rejet, fusion et incompréhension.A l'auteur de semer ses petits cailloux dans les méandres des mots qu'il jette au hasard de ses errances livresques, définitivement inaccessible au jugement du lecteur qu'il projette dans une sorte de vie rêvée, tels ces mots noirs jetés sur la blancheur de la page qui nous révèlent soudain la beauté enfantée, obscure, gémissante, douloureuse et prometteuse de l'Oeuvre.

Ce texte ci dessus écrit en moins de dix minutes n'a aucun sens. C'est une succession de lieux communs "à l'oreille", quelque chose qui donne l'impression de sonner juste tant dans le raisonnement (il n'y a aucun raisonnement) que dans les sons (association judicieuse de grammaire et de termes choisis qui vont bien ensemble et qui donnent à l'ensemble une belle et docte apparence) car ressemblant à un discours d'exégète, d'universitaire. Petite précision : pour donner plus de crédibilité à cette bouillie, il faut prendre des airs d'initié en faisant la lecture de ce texte ou en le lisant devant une assemblée.

Ce sont des phrases creuses reliées entre elles par des sonorités d'érudits, des airs de professeurs de littérature, des idées de savants. Mais il n'y a aucune idée. Il n'y a rien que des mots, des phrases qui impressionnent. Les phrases ont été écrites indépendamment les unes par rapport aux autres du point de vue du sens, seules des associations sonores et des apparences sémantiques les relient. Mais ce ne sont que des apparences de sens.

Le vrai sens général est parfaitement creux mais donne une impression de plein.

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