vendredi 18 mai 2007

505 - Choc des cultures

Lorsque j'entre dans les magasins alimentaires de certaines petites villes sarthoises embourbées dans des habitudes ancestrales, lorsque j'entre dans ces lieux hautement prosaïques que sont les chaînes de magasins, la moue volontairement hautaine, l'allure délibérément détachée, je ne peux m'empêcher -c'est plus fort que moi- de considérer de toute ma hauteur les clients affairés qui papotent entre eux, entretenant le lien social sur leurs bases communes, plébéiennes.

Leurs mines grossières, rougeaudes, le ton de leurs conversations, les soucis vulgaires qu'ils se confient, leurs manières, la toilette de leurs femmes, leur voix, leurs rires, leurs achats : tout trahit la misère de leur condition.

La bassesse de leurs aspirations alimentaires se lit sur leurs visages. Tel grossier moustachu (la moustache : signe de virilité, de séduction chez la roture) hilare et bonhomme s'épanouit à l'usine, passe ses soirées au bar, lave scrupuleusement sa voiture une heure durant, est un fidèle spectateur des jeux télévisés les plus insanes, aime le gros café, le pastis... Tout ça se voit, est écrit noir sur blanc sur sa face "d'ouvrier mécanicien spécialisé" chez Renault. Tout ça transpire à travers son air porcin en quête de satisfactions comestibles, à travers ses gros bras aux tatouages douteux, à travers sa gourmette clinquante, son maillot bon marché mal ajusté, son bob publicitaire vissé sur son front déjà ruisselant de fièvre consommatrice...

Telle autre pousseuse de chariot est une ménopausée mangeuse de viande de porc convaincue, le corps adipeux, l'esprit décrépit, atteinte à la quarantaine de pré-sénilité qui la conduira à la fin de sa vie tout droit à l'hospice, abrutie au dernier degré par une vie misée, basée, édifiée sur les biens ménagers. Une existence entière tourmentée par les trésors domestiques de son panier, consacrée aux mystères de son évier.

Voilà ce que je ne peux m'empêcher de penser lorsque je me mêle à la clientèle de ces lieux commerciaux, dans les petites villes sarthoises que je côtoie. Et je me sens supérieur à cette humanité déchue. Cette humanité vivant dans l'opulence matérielle, la pauvreté d'esprit, je lui souris par devant. Et la méprise en silence. A quoi bon tenter de lui expliquer le fond de ma pensée ? Que comprendrait-elle à mon dédain ?

Je préfère cultiver un "malentendu constructif" avec cette populace, faire croire à ces brutes moyennes que je suis des leurs, en dépit de mes manières d'aristocrate. Alors je souris à la caissière, je souris à mon voisin qui me précède. Je souris à leurs plaisanteries. Mais en moi je pense :

- " Pauvres types ! Minables ! Je ne suis pas de votre monde et vous ne le voyez même pas, âmes grossières que vous êtes ! Et vous n'avez même pas honte d'étaler vos gros quartiers de viande congelée sur le tapis de caisse ? Et vos saucisses pur porc de prolétaires dégénérés que vous avez toujours été, ça ne vous gêne pas de les exhiber là devant un esprit raffiné comme moi ? Comment osez-vous ! Et ce soir vous allez regarder TF1 en bouffant vos foutus steaks-frites ! Et ça, ça vous rassure n'est-ce pas, ça vous rend encore plus vous-mêmes, hein ? Et puis vous crèverez d'un infarctus, d'un cancer des poumons, d'un cancer de l'esprit, d'un cancer d'abrutissement, d'un cancer de roturiers ! Vous êtes des infirmes du coeur, des handicapés de l'intelligence, des sensibilités atrophiées. Moi je lis sans peine la profondeur de votre indigence sur vos visages et vous, avec vos cervelles pétrifiées dans leurs habitudes horizontales, vous êtes bien incapables de lire la finesse de mon esprit qui en ce moment vous honnit, vous dissèque, vous scalpe sans la moindre indulgence ! Vous me prenez à témoin de vos préoccupations de bovins, de vos espérances de mangeurs, de conducteurs, de cotisants... Et vous pensez que je suis des vôtres ? Si vous saviez... Abrutis, minus, petits que vous êtes ! "

Ils continuent de me joindre à leurs conversations d'acheteurs de saucisses-patates-congelées. Et moi je leurs réponds sourire au lèvres, crocs rentrés. Mais acérés. Et je me retiens de les montrer, aimable, impassible. En sortant du magasin, je leur fais un signe amical, leur souhaite une bonne journée.

Avec soulagement je respire l'air du dehors en me répétant inlassablement, comme un défoulement mental :

- " Bande d'abrutis, petits minus, pauvre humanité déchue..."

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